dimanche 25 février 2018

"Destins parallèles - Elle" et "Destins parallèles - Lui" (Daisuke Imai)



Une histoire d'amour racontée du point de vue de chacune des deux personnes concernées, à travers des volumes intitulés "Elle" et "Lui" sortant simultanément en librairie. Je trouvais le principe tellement intéressant que je n'ai même pas feuilleté les deux tomes 1 de cette nouvelle série signée Daisuke Imai avant de les acheter. De toute façon, le dessin très correct (sans être extraordinaire) n'aurait pas suffi à me dissuader. 

Non, il a fallu que je me plonge vraiment dans ce manga pour me rendre compte que Chihiro, qui rentre tout juste en fac et se fait embarquer dans l'aventure d'un club photo, est l'incarnation de la nunuche romantique capable de tomber follement amoureuse d'un garçon croisé deux fois avec qui elle a échangé exactement 4 phrases. En plus de ça, elle est timide et complexée - plus insipide, tu meurs. 

Quant au fringant Yukichi, c'est un étudiant de seconde année très imbu de lui-même, agressif, manipulateur et franchement antipathique. Tous les deux incarnent grosso modo le pire des clichés sur la féminité et la masculinité. Certes, cela leur laisse une grande marge de progression personnelle pour les tomes suivants. De plus, le quiproquo sur lequel se base le début de leur histoire semble une excellente idée, propice à un développement plus complexe que celui d'un coup de foudre réciproque. Mais rien à faire: avec des héros aussi horripilants, "Destins parallèles" se poursuivra sans moi.

Traduction de Fabien Nabhan

samedi 24 février 2018

"Eclat(s) d'âme" (Yuhki Kamatani)


Deux jours avant les vacances d'été, Tasuku, lycéen sans histoire, est "outé" par un camarade indélicat qui a fouillé dans son smartphone et y a trouvé des vidéos gay. Pour ne pas être rejeté par les autres, le jeune homme plaide une blague de son frère et affirme que l'homosexualité le dégoûte. Mais il craint que ce démenti ne suffise pas et que sa vie devienne un enfer, au point qu'il envisage le suicide. Au même moment, il voit au loin une femme se jeter dans le vide. Il se précipite vers l'endroit d'où elle a sauté et découvre, non seulement que l'inconnue est toujours en vie, mais qu'elle est l'hôte d'un curieux salon de discussion...

Après l'émouvant "Le mari de mon frère", les éditions Akata nous proposent un autre manga centré sur les problématiques LGBT - très différent du premier, mais tout aussi intéressant. Ici, le héros est un ado qui peine à accepter son orientation sexuelle, a fortiori, à trouver le courage nécessaire pour l'assumer publiquement dans une culture où elle est encore très mal vue. Les rencontres que fait Tasuku au salon de discussion, où personne ne le juge, vont peu à peu l'aider à mûrir. A partir d'une situation réaliste aussi banale que douloureuse, Yuhki Kamatani tisse une histoire empreinte d'une grande poésie et rehaussée d'une pointe de mystère. La finesse de son graphisme ajoute encore au charme fou de cette série dont j'attendrai impatiemment les prochains tomes.

Traduction d'Aurélien Estager

vendredi 23 février 2018

"Les optimistes meurent en premier" (Susin Nielsen)


Suite à la mort de sa petite soeur, Pétula De Wilde, 16 ans, a contracté à peu près toutes les phobies du monde. Sa peur des germes l'empêche d'avoir la vie sociale d'une fille de son âge, et en secret, elle collectionne les coupures de journaux sur les accidents loufoques. Elle s'est brouillée avec sa meilleure amie qui partageait son amour immodéré des loisirs créatifs; sa mère ne cesse d'adopter de nouveaux chats pour compenser la perte de Maxine, et sa psy impose à son groupe d'art-thérapie des exercices dignes de gamins de sept ans. Bref, Pétula broie sérieusement du noir jusqu'à ce que sa route croise celle de l'homme bionique: Jacob Cohen, qui a perdu un bras et ses deux meilleurs amis dans un accident de voiture...

J'avais lu tellement de bien de ce roman de la Canadienne Susin Nielsen que je m'attendais à être déçue par sa lecture. Et puis, pas du tout: grâce à sa collection de personnages bancals mais hyper-attachants, ainsi que son juste équilibre entre drame et espoir tempéré par une bonne dose d'humour, "Les optimistes meurent en premier" mérite largement tous les compliments qui lui ont été faits. Pétula (que sa mère surnomme "Pétouille") a un sens de l'auto-dérision hilarant, rendu à la perfection par une traduction si dynamique qu'on croirait que l'auteure a écrit directement en français, et on regrette beaucoup de la quitter après 200 pages seulement. Un délice à mettre entre toutes les mains. 

Traduction de Valérie Le Plouhinec

jeudi 22 février 2018

"Les années" (Annie Ernaux)


Née en 1940, l'auteure retrace dans "Les années" toutes les choses marquantes qui se sont passées au cours de sa vie: la fin de la guerre et de la pénurie alimentaire, les débuts de la société de consommation, l'émancipation progressive des femmes... Elle choisit de le faire de façon générale et assez impersonnelle, sous forme de vignettes écrites à la troisième personne du singulier. Parfois, elle intercale sa petite histoire dans la grande, mais là aussi, de manière plutôt détachée - d'abord par la description de vieilles photos, puis d'événements de sa vie abordés d'une façon plutôt superficielle et à travers la distance du "elle" plutôt que l'implication du "je". Résultat: alors que son regard sur les choses est magnifique de justesse et servi par une très belle écriture, j'ai beaucoup peiné à finir ce livre d'à peine 250 pages. Pour moi, ce n'est pas tant un roman qu'une collection d'images disjointes à laquelle je n'ai pas réussi à m'attacher un seul instant. 

dimanche 18 février 2018

"Je suis une fille de l'hiver" (Laurie Halse Anderson)


Cassie, l'ex-meilleure amie de Lia, vient d'être retrouvée morte dans une chambre de motel. Si les deux jeunes filles étaient brouillées depuis un accident survenu six mois plus tôt, elles gardaient un point commun crucial: l'obsession de devenir aussi mince que possible en avalant le moins de calories possibles. Lia, qui allait un peu mieux depuis qu'elle avait été hospitalisée puis avait déménagé de chez sa mère avec qui elle ne s'entend pas pour s'installer chez son père, sa belle-mère sympa et son adorable demi-soeur, replonge de plus belle...

Je n'avais pas été bouleversée par "Vous parler de ça" de la même auteure; l'anorexie n'est pas un sujet qui m'intéresse dans l'absolu, et on ne peut pas non plus dire que la caution littéraire d'Enjoy Phoenix soit un argument très convaincant à mes yeux. Je suis donc infichue de vous dire pourquoi j'ai fait l'acquisition du dernier roman de Laurie Halse Anderson. Probablement parce que je cherchais un poche rapide à lire pour mes longs trajets en train et ne trouvais rien de plus alléchant dans les nouveautés. Bref. 

Contre toute attente, j'ai au final beaucoup aimé  "Je suis une fille de l'hiver". L'auteure a fait des recherches assez poussées pour réussir à très bien rendre ce qui se passe dans la tête de son héroïne, une fille parfaitement intelligente et consciente du mal dont elle souffre, mais pourtant incapable de se voir autrement que comme une grosse vache même à 42 kilos pour 1m70, incapable de se forcer à manger malgré tous les efforts de sa famille et de ses médecins. Les parents de Lia ont divorcé quand elle avait neuf ou dix ans, ce qui a signalé le début de son mal-être sans pour autant fournir une explication décisive à sa plongée dans l'anorexie: pourquoi elle, alors que l'immense majorité des enfants de divorcés ne présentent jamais de troubles alimentaires ou même comportementaux au sens large du terme? On voit bien que le déclencheur est difficile à identifier, donc à anticiper et encore plus à maîtriser pour aider les victimes à s'en sortir.

Lia est une fille sincèrement gentille, docile et pleine de bonne volonté, mais son anorexie a aussi fait d'elle une maîtresse menteuse et une manipulatrice, prête à tout pour faire croire qu'elle mange normalement et maintient un poids raisonnable alors que tel n'est pas le cas. Son parcours, qui montre bien que les troubles alimentaires ne sont pas un choix mais une véritable maladie mentale, a des accents de vérité assez forts pour ne pas conseiller la lecture du roman à une personne directement concernée; en revanche, il pourrait être très intéressant et éducatif pour quelqu'un qui a un(e) anorexique dans son entourage. Et même en tant que "simple" oeuvre de fiction, je le trouve assez touchant pour mériter d'être lu.

Traduction de Marie de Prémonville

mardi 13 février 2018

"The seven deaths of Evelyn Hardcastle" (Stuart Turton)


Le narrateur revient à lui alors qu'il est en train de courir dans les bois avec le nom d'"Anna" sur les lèvres. Peu de temps après, il voit passer au loin une femme qui hurle, poursuivie par un homme. Un coup de feu retentit. 

Le narrateur ne se souvient de rien; il ignore où il se trouve et ce qu'il fait là. Une boussole lui permet de gagner une vaste demeure décrépite et pourtant grouillante de monde, dont les occupants semblent le connaître. Il se nomme Sebastian Bell; il est médecin et a été invité à passer quelques jours au domaine de Blackheath en l'honneur d'Evelyn Hardcastle, la fille aînée des propriétaires qui rentre au logis après 20 ans d'absence. 

Le lendemain matin, le narrateur se réveille dans une autre chambre que celle où il s'est endormi, et dans un autre peau que celle de Sebastian Bell - mais le même jour que la veille. Désormais, il est le majordome qui ouvre la porte au médecin quand celui-ci arrive affolé, affirmant qu'on vient de tuer une femme dans les bois...

Une atmosphère à la croisée des romans d'Agatha Christie et d'une partie de Cluedo, en un peu plus sinistre encore. Des éléments qui rappellent le film "Un jour sans fin", le début de la deuxième saison de "The Good Place", la fin du roman "Dark matter" et le principe d'un escape game. Une intrigue épouvantablement retorse qui donne le tournis. Ca faisait longtemps que je n'avais pas à ce point été happée par une histoire, que je n'avais pas dépensé autant d'énergie mentale à assembler les pièces d'un puzzle sans avoir la moindre idée de ce que l'image finale allait donner. 

Souvent, les romans qui partent sur une base très originale ou provocante ont du mal à maintenir l'intérêt du lecteur sur la durée et peinent à proposer une conclusion satisfaisante. Ici, j'ai adoré l'explication donnée aux tribulations du narrateur, et j'ai été enchantée par la façon dont, à l'exception peut-être d'un ou deux détails sans importance, tous les éléments s'emboîtaient à la perfection. Ma seule réserve concerne l'origine de la mort d'Evelyn Hardcastle, celle qui est révélée tout à la fin et qui déclenche la succession des événements - je ne la trouve pas hyper crédible. 

J'ai également eu du mal à me faire à l'écriture de l'auteur, que j'ai trouvée un peu plate pendant toute la première moitié du livre. Après, je m'y suis faite et j'ai considéré la narration comme un exposé et un processus purement intellectuels - même si les émotions du narrateur jouent un rôle très important dans la résolution de l'histoire. Dans l'ensemble, malgré quelques légers défauts,  "The seven deaths of Evelyn Hardcastle" m'a soufflée comme peu de romans y parviennent encore aujourd'hui.

Si vous aimez les histoires qui bougent et les grands sentiments, je ne vous le recommande pas: il vous ennuiera sûrement. Si, par contre, vous aimez vous torturer les neurones et admirer l'architecture d'une intrigue complexe autant que moi... Foncez. (Puis revenez me dire combien j'ai été admirable d'écrire une critique sans spoiler grand-chose alors qu'il y a tant d'éléments que j'aurais eu envie de commenter!)

vendredi 9 février 2018

"Professeur Goupil est amoureux" (Loïc Clément/Anne Montel)


En septembre dernier, je vous présentais "Professeur Goupil", l'histoire d'un renard misanthrope qui vivait seul dans un grand manoir. A la suite d'une expérience foireuse, il se retrouvait envahi par un tas de petits animaux avec qui il finissait par apprendre à partager. Six mois plus tard, on le retrouve avec bonheur, toujours sous la plume de Loïc Clément et le pinceau d'Anne Montel. 

Professeur Goupil s'est habitué à vivre avec toute sa joyeuse ménagerie. Mais voilà que celle-ci lui réclame des histoires au moment d'aller dormir, et pas n'importe quelles histoires: des aventures qui lui sont vraiment arrivées! Professeur Goupil décide d'écrire son autobiographie, mais il a du mal à se concentrer. Distrait par sa nouvelle voisine Akiko, il se met à revisiter des fables et des contes célèbres dans lesquels le héros sauve toujours la jolie héroïne...

Destiné à un jeune public qui commence juste à pouvoir lire de courts romans, ce deuxième tome de "Professeur Goupil" poursuit dans la même veine tendre et drôle que le premier, en revisitant un tas d'histoires bien connues des enfants comme des adultes et en soulignant l'importance du rituel du coucher - bordage et bisoutage constituant les deux étapes indispensables à une nuit réussie. On attend avec impatience de voir ce que deviendra notre renard plus du tout asocial dans les prochains!

Merci aux éditions Little Urban pour cette lecture.  



mercredi 7 février 2018

"Petite balade et Grande Muraille" (Maïté Verjux)


Au début de l'année 2016, Maïté Verjux, fraîchement diplômée d'une école de graphisme et n'ayant pas de projets précis pour la suite, décide de partir dans un endroit lointain dont elle ne parle pas la langue afin de sortir de sa zone de confort et tenter l'expérience de la communication par le dessin. Elle choisit de se rendre à Pékin pour une période de trois mois, et c'est ce séjour qu'elle relate dans cet ouvrage. Partie sans grande connaissance de la culture locale et sans attentes spécifiques, elle est choquée à son arrivée par la pollution ambiante, mais aussi par les conditions de vie dans sa coloc bondée. Après avoir passé deux jours dans son lit sans oser mettre les pieds dehors et sans manger quoi que ce soit, elle se décide à s'aventurer dans les rues de Pékin... 

Très intéressée par l'Asie et amatrice de récits de voyage, surtout illustrés, je ne pouvais que me pencher sur le premier ouvrage publié par Maïté Verjux. Si j'ai beaucoup apprécié ses dessins et son utilisation de l'écriture inclusive, je ne peux vraiment pas dire que son expérience m'a donné envie de me rendre à Pékin (ou n'importe où ailleurs en Chine, sorti de Hong-Kong). Entre la pollution abominable, l'hygiène plus que douteuse, la propagande omniprésente dans les lieux culturels, les tentatives d'arnaque dont l'auteure est plusieurs fois la cible, la façon dont les autochtones traitent les Européens comme des bêtes curieuses et le grouillement humain insupportable dans tous les lieux touristiques, y compris à l'extérieur des grandes villes, j'ai eu l'impression que tous mes cauchemars de voyage urbain se trouvaient rassemblés au même endroit. Si l'auteure a fait des expériences positives en Chine - hormis pour une journée qu'elle passe dans la montagne avec des amis juste avant de rentrer en France -, ça ressort assez peu. C'est bien la première fois de ma vie qu'un récit de voyage me donne envie de ne surtout pas bouger de chez moi. 

mardi 6 février 2018

"Le Club de l'Ours Polaire T1: Stella et les Monde Gelés" (Alex Bell)


Trouvée dans la neige quand elle était toute petite, Stella a été adoptée par Felix, un explorateur du Club de l'Ours Polaire qu'elle rêve d'accompagner dans sa prochaine expédition au coeur des Mondes Gelés. Oui mais voilà: tout le monde sait bien que les filles ne peuvent pas devenir exploratrices. D'ailleurs, sa tante Agatha préfèrerait l'envoyer dans un pensionnat pour que la fillette de douze ans y apprenne la broderie et les bonnes manières...

C'est la superbe couverture de ce roman jeunesse qui a attiré mon attention en librairie (comme quoi, payer un bon illustrateur vaut vraiment la peine - je dis ça je dis rien, mesdames-messieurs les éditeurs). Je n'avais jamais entendu parler d'Alex Bell, qui n'avait jusqu'ici écrit que pour un public adulte, mais j'avoue avoir dévoré "Stella et les Mondes Gelés" en une seule journée. Certes, on pourra trouver que l'héroïne est le stéréotype de la jeune aventurière: têtue, curieuse au point d'en devenir imprudente, mais toujours sauvée par son courage et son astuce. Et le public visé étant relativement jeune, il ne faut pas non plus s'attendre à un scénario d'une complexité diabolique ou d'une originalité folle.

En revanche, je peux vous certifier que l'histoire est menée tambour battant, qu'on ne s'ennuie pas une seule seconde et que l'auteure réussit à caser très habilement ses convictions féministes en même temps que quelques leçons de vie bien senties. Mais ce qui m'a le plus enchantée, c'est l'univers qu'elle a construit, un univers magique dans lequel se côtoient des dinosaures nains et des arbres à bagels, des concombres chantants et des cuillères à moustache. J'ai adoré le personnage de Dragigus, meilleur ami demi-elfe et vraisemblablement autiste de Stella, les quatre clubs d'explorateurs et leurs règlements intérieurs respectifs qu'on trouve à la fin du livre, mais aussi le cliffhanger final qui donne très très envie de découvrir la suite de cette série bourrée de charme. J'espère qu'Alex Bell écrit vite!

Traduction de Faustina Fiore